On ne peut pas faire ce métier de vigneron sans avoir une passion pour la gastronomie.

Tout petit déjà, je faisais des gâteaux pour toute la famille, car c’était la meilleure manière pour moi d’être sûr d’en avoir au goûter…

Avec le temps, et l’expérience, une véritable passion m’a pris pour marier les saveurs, combinant dans mon métier de vigneron les savants assemblages de cépages avec les plaisirs d’un cuisinier.

C’est fou comme ces deux métiers se ressemblent.

Cuisinier ou Vigneron, nous avons la même finalité : conduire sur des chemins savoureux tous ceux qui goûterons au fruit de notre travail, pour susciter chez eux une émotion des papilles. Ils ont le « coup de feu » du service, nous avons celui des vendanges… Ils n’ont pas droit à l’erreur, ils travaillent à l’unité, comme nous qui travaillons le vin qu’une fois par an, en s’assurant que chaque bouteille soit bien faite !

Aussi, lorsque en 2013, je fus contacté par l’interprofession des vins de la vallée du Rhône pour participer au concours du meilleur vigneron-cuisinier, au salon SIRHA à Lyon, je ne pu faire autrement que d’accepter.

Ce concours obligeait un vigneron à passer derrière les fourneaux pour cuisiner en un temps record un plat de résistance en accord parfait avec son vin. Assisté par un véritable chef restaurateur, qui n’avait le droit de toucher à rien, le vigneron devait donc œuvrer en vrai professionnel de la cuisine pour satisfaire les papilles de 9 jurés exigeants, dont des étoilés Michelin, MOF et autres critiques gastronomiques.

L’enjeu était de taille, mais la passion ou la folie aidant, il était clair que je me devais de relever le défi.

Richard ROCLES, maître restaurateur, chef de l’Auberge de Montfleury, située en Ardèche fût mon coach restaurateur pour cette aventure culinaire.

Grâce à cet ardent défenseur de la gastronomie locale et du bon goût, nous réalisâmes ensemble un plat censé répondre aux exigences du concours qui portait sur le thème de la Bistronomie. Comprenez : cuisine de bistrot, simple et conviviale, mais revisitée version gastronomie. Dans ce thème, il nous était imposé de réaliser un plat à base de viande, en parfaite harmonie avec le vin choisit.

Je décidais donc de présenter un Côtes du Vivarais rouge 2011, cuvée Parcelle Nord. Un vin puissant, fruité et souple, avec des notes d’épices…

Le plat fût élaboré après de multiples réflexions ponctuées de verres pleins, puis vides, puis plein, puis vides à nouveau… Et après plusieurs bouteilles, décision fût prise de réaliser un « Bœuf Carotte », mais pas n’importe lequel ! Un bœuf carotte où l’originel allait rencontrer l’original… Un bœuf carotte où la tradition allait se marier avec la modernité… Bref, un bœuf carotte qui serait un mouton à 5 pattes. Paradoxe.

Pour la tradition, mon chef coach dût faire l’achat d’un instrument que dans son établissement de valeur il n’avait point l’habitude de voir fonctionner : une cocotte minute ! En effet, la première partie du plat comportait une cuisson lente à l’étouffée pour réaliser le Bœuf carotte traditionnel et dans le temps imparti par le concours, cela était impossible. Seule la cocotte pouvait nous sauver ! Je dois vous dire qu’elle a provoqué plusieurs sourires amusés le jour du concours, on rentrait clairement dans la catégorie amateur…

Mais comme le vigneron peut vous le certifier, ce n’est pas l’outil qui fait la qualité du travail, c’est la manière dont on s’en sert !

Et pour le coup, avec de bons ingrédients issus de notre belle terre d’Ardèche, les saveurs emplirent le box du concours faisant relever les têtes, surpris, de tous nos détracteurs moqueurs.

Une purée de panais, ces carottes jaunes au goût de réglisse, pour accompagner ; une petite carotte fane glacée au miel de lavande pour décorer la tradition enserrée dans un moule en inox et ce bœuf carotte prenait des allures de bête à concours, aussi beau que bon !

Mais la partie surprenante, originale et moderne allait suivre.

Inspiré par la cuisine japonaise, nous avions en effet décidé d’ajouter au premier plat chaud une composition froide de bœuf carotte sous la forme d’un sushi de tartare de bœuf.
Après avoir découpé des lanières de carotte dans le sens de la longueur, et réalisé un vrai tartare de bœuf au couteau avec des sauces épicées japonaise comme la moutarde wasabi, nous avions roulé le tout pour former un boudin, aisément découpé ensuite en petit sushi.

Jamais un bœuf carotte n’avait été aussi bien « bistronomisé » !

Le Vivarais rouge, avec son fruité puissant et ses notes de poivres et d’épices douces était comme un vrai poisson dans l’eau avec ces deux compositions. Tantôt charnu et suave avec le coté traditionnel, il se faisait tout doux face au wasabi, donnant à la viande une saveur style raisin au poivre de Sichuan, un vrai régal.

Et ce fût certainement du goût des jurés qui nous octroyèrent la première place du concours ! Notre prise de risque d’un chaud-froid autour de ce thème plutôt ardu avait été comblée par les honneurs des chefs.

Qu’il me soit donc ici permis de rendre hommage à mon ami et grand chef coach Richard Rocles, qui grâce à son talent m’a porté jusqu’à ce niveau de cuisine. Un hommage tout spécial à sa capacité de résister à mes nombreux moments où je ne l’ai pas écouté, conformément à mon naturel de vigneron et d’Ardéchois… Mais n’est ce pas là l’apanage des grands chefs que de composer avec l’imprévu ? Je vais m’en inspirer pour notre prochaine cuvée…